Le sculpteur Giuseppe Penone exprime une forte sensibilité, et un émerveillement, envers la Nature, mais également envers le lien que l'Homme - Artiste entretient avec elle. S'il aime jouer avec les matières naturelles, il aime aussi utiliser des matériaux « hors du temps », tel l'or...
Giuseppe Penone, fils d'agriculteurs de Ligurie (village de Garessio), est un artiste sculpteur italien contemporain (né en 1947), apparenté à la mouvance de l'Arte Povera. Cette dernière, née à la fin des années 1960, est une attitude contestataire qui réagit contre « l’art riche » et conceptuel, caractéristique de la société de consommation moderne : « La décision de travailler avec des éléments naturels est la conséquence logique d'une pensée qui rejetait la société de consommation et qui recherchait des relations d'affinité avec la matière ».
Giuseppe Penone exprime, dans son art, une forte sensibilité et un émerveillement, envers la Nature, mais également envers le lien empathique que l'Homme entretient avec elle. Ce lien est manifeste, en particulier par l'intermédiaire du corps, et plus précisément par celui de l'artiste engagé corporellement et œuvrant sur, et avec, sa matière. Les traces humaines sont récurrentes : mains, empreintes digitales (Disegno d'acqua, 2003-2007), corps entier (Souffle de feuilles,1976), paupières, ongles (Unghie,1987-1994), lèvres (Spine d'acacia - contatto, maggio, 2005), peau (Pelle di grafite, 2004) ... tout comme celles du geste même de sculpter.
Par ailleurs, les conditions mêmes d'expositions de ses œuvres, lorsqu'elle ont lieu en extérieur rajoutent une autre dimension à son art : ce fut le cas à de nombreuses reprises à Versailles (2013), à Florence dans les Jardins Boboli (2014), et au Domaine de Chaumont-sur-Loire (2020).
Polysémiques, ces œuvres sont d'emblée abordables, car elles nous parlent « facilement », sensuellement... mais, elles invitent dans le même temps à une profonde réflexion métaphysique et philosophique sur le couple nature/culture, sur qui, et ce qui fait « œuvre ». Penone explique souvent qu'en sculptant, il copie l'action de la nature et du temps, remettant par là en question les conventions que sont la beauté, l'auteur, l'identité et l'artiste. Le respect des éléments qui entourent l'homme, et qui sont aussi importants que lui, entraînent une relativisation du geste artistique (il sculpte comme le fleuve sculpte dans Essere fiume (2000), ou comme le vent sculpte les grains de sable dans Essere vento (2018).
S'il aime jouer avec les matières naturelles (troncs d'arbres, épines, feuilles...), il aime aussi utiliser des matériaux « hors du temps », traditionnels en sculpture, stables, et dont les processus même de mise en œuvre rejoignent ses préoccupations (fluidité, fusion, transformation, gravité, lumière).
Ainsi, il privilégie :
la pierre (Idee di Pietra, 2008)
le cristal (Trappole di luce, 1995)
la terre cuite (Terra su Terra, 2015, Soffio, 1978, Avvolgere la terra, 2014)
le bronze omniprésent dans les troncs d'arbres qu'il imite à la perfection, les mains, etc.
et l'or, matière non sculptable, qui revient à plusieurs reprises dans ses œuvres. C'est donc cet aspect précis que je souhaite pointer ici.
Chez cet artiste, les rapports intérieur/extérieur, toucher/regard sont fondamentaux : ce qui est caché se dévoile (l'intérieur des troncs, l'intérieur des corps, les sons des arbres), tout comme les surfaces-enveloppes (écorces, feuilles, peau humaine) qui gardent la mémoire de mouvements, qu'ils soient internes (croissance, germinations) ou externes (érosion du vent et de l'eau, fossilisation).
Ainsi, l'or matérialise (par sa couleur, sa lumière, sa texture... et sa symbolique) cette énergie « invisible », et les cycles dynamiques qui sont en chaque chose naturelle au sens large. Pour Giuseppe Penone, l'or incarne certes la préciosité, mais également l'immortalité (il fige durablement le temps qui passe, le mouvement, tout en le mettant en valeur), la lumière, et le fait qu'il soit compatible avec le corps humain.
Comme avec le bronze (qui fond, circule, coule...), l'or, matière classique en art, est aussi l'incarnation de la part de culture sur la nature : celle-ci devient alors « sculpture ».
L'or, dans certaines des œuvres de Penone, accentue une modification mortelle et peut rendre présente une absence. C'est le cas de Albero folgorato (2012) : un arbre touché par la foudre (reproduit en bronze) voit le lieu de l'impact électrique, et sa brisure, recouverts d'or. La mémoire de la fulgurance de lumière et d'énergie de cet évènement est alors comme capturée et matérialisée, reliant par là-même le ciel et la terre...
Dans Tra (2008), ce sont les cassures d'un tronc, et les coulures de sève, qui sont mises en lumière/immortalisées par de l'or. Placées horizontalement, face à face, elles font presque penser à des affrontements d'animaux.
Dans plusieurs autres installations, l'artiste a tapissé l'intérieur de troncs d'arbres en bronze, d'une couche d'or. L'or y est alors une symbolisation de la lumière nécessaire à la croissance vitale des arbres, et peut-être aussi du féminin (car les métaphores sexuées sont délicatement présentes). Cette vie invisible, et comme emprisonnée, sous l'écorce, éclate ainsi au grand jour, et sous des angles différents. C'est le cas de :
Spazio di luce (2008) : un tronc évidé, régulièrement sectionné, et posé à l'horizontale sur ses branches (imitant un cortège d'insectes), nous offre une vision d'or sur toute sa longueur, qui nous permet de voir à l'intérieur, telle une longue vue dans le temps et l'espace (à moins qu'un œil se cache au fond et nous regarde...)
Matrice di bronzo (2008) : le tronc est coupé en deux, évidé, posé sur des branches comme un réservoir, ou un abreuvoir d'or et de sève (en résine)
Scrigno (2007) : un tronc horizontal en lévitation s'ouvre en deux, et s'offre à nous tel une boîte secrète merveilleuse, où coule une rivière de sève dans un écrin doré
Luce zenitale (2012) : un tronc imposant, bien ancré à la verticale dans le sol, d'où irradie, par le trou des branches (ou faits par des oiseaux ?), invitant à regarder comme par les trous de serrures, une lumière dorée zénithale.
Dans Luce et ombra (2011) «l’arbre s’élance vers le ciel et le feuillage s’élargit en une forme ample et sphérique afin de recueillir un maximum de lumière. Voilà la raison pour laquelle ses feuilles sont dorées. Le bronze par contre est un élément soumis à la force de gravité qui nous dirige vers les profondeurs de la terre, vers l’obscurité.» explique-t-il. Cette fois l'or représente la captation figée de la lumière et de la chaleur, par l'autre intermédiaire des arbres que sont les fragiles feuilles.
Ces feuilles dorées, on les retrouve également dans Respirare l'ombra (2000), une sculpture-totem métallique en feuilles d'arbre, à l'intérieur de laquelle est disposé un appareil respiratoire humain réalisé en reproduction de feuilles de laurier en bronze doré ... "à la feuille d'or" ! Ces poumons, suivant le point de vue du spectateur, ressemblent tantôt à des yeux d'insecte, à des seins ou même à la glande thyroïde, tantôt à un bec semblant avancer vers nous dans un manteau sombre de feuilles d'automne...Les thèmes chers à Penone y sont concentrés : le corps humain, la nature végétale/animale, la lumière, les saisons donc la temporalité et les cycles, le souffle, l’invisible, l'histoire de l'art, le plein/le vide, le rapport à la symbolique de la matière même de la sculpture...
Dans Spoglia d'oro su spine d'acacia (2002), Penone fait une réplique en immense format de sa bouche. Elle est réalisée avec des épines d'acacia (antithèse piquante de ce qu'évoque une bouche...) et le centre des lèvres est occupé par une feuille d'or, dans laquelle sont gravées à jamais ses empreintes de mains au travail. Cette feuille d'or, réceptacle (dépouille) d'empreintes humaines, est aussi au cœur de Spoglia d'oro (2001) et de Spoglia d'oro su pelle di cedro (2005). Des sortes de mues... qui rappellent aussi les masques funéraires en or.
On peut enfin parfois constater, que sans aller jusqu'à employer de l'or, il s'en approche en jouant sur la couleur ocre/jaune (celle de la terre et du bois). C'est le cas dans Spazio della cultura où le cuir couleur chair tapisse un socle de bronze. Idem dans l'installation Pelle del monte (2012) ou des paysages-peaux en marbre ont la bordure jaunie.
L'or permet donc de révéler, de rendre visible des processus qui ne le sont ni à l’œil nu, ni palpables (la croissance, la circulation de fluides, les métamorphoses, les échanges...), de jouer avec le langage, sur les symboles propres à l'Art, avec les textures (brillant, coloré) et apporte une aura spirituelle, en élevant de l'ombre à la lumière...
[Les photos des œuvres dorées de Giuseppe Penone sont également sur Pinterest].
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