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L'or et le corps

Après une série d'articles sur les usages alimentaires de l'or, j'avais envie de continuer mon exploration de notre rapport à ce minéral-pas banal, en regardant de plus près les liens qui unissent être humain et or. L'or peut être lié au corps de manière très « intime » : il est possible de prendre un certain plaisir à en ingurgiter, mais on peut également en avoir à l'intérieur de soi pour des raisons de santé, et enfin le mettre sur soi de biens d'autres manières qu'en portant les bijoux de famille...


Avoir l'or en soi

L’or ayant toujours été associé à Dieu et à l’immortalité, il l'a été par extension, à la santé. Ce sont les Chinois qui ont été parmi les premiers, en 2500 av. J-C, à l'utiliser dans la pharmacopée, en particulier dans les problèmes de peau. Par ailleurs, dans les cultures asiatiques, et notamment dans la médecine ayurvédique, il est profondément porteur de guérison et de réparation.

Mais l'or a aussi sa place dans la "médecine européenne", le médecin et philosophe Paracelse l'utilisait déjà au 16ème s. Biocompatible, il est parfaitement toléré par le corps humain, il ne se corrode pas et résiste aux attaques microbiennes. Ainsi, il peut nous aider à combattre un orgelet (vous connaissez le remède de grand-mère qui consiste à passer une bague en or sur sa paupière ?), à manger, à entendre … et même à faire battre notre cœur ! En effet, on le retrouve de nos jours dans les couronnes dentaires, les prothèses audi­tives, les pacemakers ou encore les plaques de protection des artères.

Ses utilisations en dentisterie, sont extrêmement foisonnantes, et même très anciennes puisqu'elles datent des Étrusques (7ème s. av. J.C). Elles sont bien attestées par de nombreuses traces archéologiques, notamment avec des crânes qui ont livré différents systèmes de prothèses dentaires en or. On retrouve également des procédés de soins dentaires avec des ligatures en fil d'or au 18ème s. (par exemple sur le squelette d'un abbé retrouvé à St Martin des Champs, Paris). Sans parler du sort réservé à certaines dents en or... et à des propos toujours d'actualité, où l'on voit que le sujet des dents en or - notamment dans les pays de l'Est, où cette coutume est un signe extérieur de richesse et de fierté - dépasse bien largement le champ du médical.

Mais poursuivons la trace de l'or, à l'intérieur du corps, car ses bienfaits sur la santé sont devenus très à la mode depuis quelques temps, en particulier avec le développement de l'oligothérapie et des médecines naturelles. L’or, en activant le fonctionnement des glandes surrénales et, donc la libération de cortisol, stimulerait les capacités de défense et d’adaptation de l’organisme face aux perturbations du système immuni­taire. De même, on lui prête des vertus anti-inflammatoires, en particulier dans les cas de rhumatismes soignés par des sels d'or.

Pour aller toujours plus loin, il est même possible de "chier" de l'or en ingurgitant des pilules dorées...là pour le coup, de l'or sort de notre corps !

Plus sérieusement, là où il semble prometteur, c'est dans le domaine des nanosciences, de la lutte contre le cancer et la radiothérapie car il a la faculté de se fixer avec précision sur la cellule malade.

Enfin, une autre manière d'avoir l'or en soi est celle de l'artiste Stephen Cawston, qui en recouvre les os de squelettes humains (et animaux).


Mettre une fine couche d'or entre soi et le monde

Alors bien sûr, même dans le « médical », il n'est jamais facile de distinguer les réels effets de l'or, prouvés scientifiquement, de sa beauté et de sa puissance symbolique (notamment sur l'imaginaire). Il était donc tout indiqué pour pénétrer le domaine de la cosmétique, faisant flirter cette dernière avec la joaillerie. Notre corps n'est-il pas un bijou qui doit être traité comme tel ?

Au même titre que d'autres composants « précieux » (perle, diamant, truffe, caviar...), l'or paré de toutes ses vertus, en particulier antioxydantes (il ralentit la dégradation des fibres du collagène, il capte la lumière, il détoxifie, etc.), en devient un élément de choix. N'est-il pas fait appel à la reine des reines, Cléopâtre, pour systématiquement en démontrer/justifier l'intérêt ? Elle qui, en plus du fameux lait d'ânesse, aurait eu recours à ce précieux métal, en masque chaque soir avant d’aller dormir, pour préserver son teint...

Ainsi, en plus de le porter en bijou, l'or se porte directement « sur le visage ». Encore faut-il que ça se voit et/ou se sache... Alors comment le montrer ? D'un point de vue commercial, l'or présente l'intérêt de pouvoir jouer avec les mots (luxe, éternité, pureté), avec les packagings, et d'apporter un bel aspect à tous ces produits où flottent des paillettes d'or (crèmes, sérums, base de maquillage, eye-liners, fards à paupières, huiles de corps, stickers pour ongles, masques, patchs pour lèvres et yeux, etc.), savons.

Phénomène identique à qui se passe dans les boissons avec, là-aussi, les versions chics et les versions plus "démocratisées", en terme de gammes de prix (les collections de Luxury Gold, de Carita ou de La Prairie, ne sont pas celles de Jylor). Est-ce que les moins chères fonctionneront aussi bien ?! Est-ce partout de l'or 24 k ?!

Bien sûr, pour que "cela" marche, il est nécessaire que quelques influenceuses (aux styles différents comme ici et ), mais surtout des stars (telles Kate Hudson, Jessica Alba ou les Anges de Victoria’s Secret) en fassent la promotion sur les réseaux sociaux, le tout relayé par les magazines féminins ! Ainsi, quelques marchands de feuilles d'or, spécialisés dans ces débouchés très particuliers (DelaFée, Manetti ou Freba), en vendent pour ces usages spécifiquement cosmétiques.


Porter de l'or sur soi

Pour terminer, je voudrai mettre l'accent sur le binôme or-bijou. En effet, la notion de bijou ayant considérablement évoluée, les utilisations de l'or sur le corps ont suivi le mouvement, et vice-versa. La parure évolue : c'est désormais le simple fait de poser de l'or sur une partie du corps qui la fait immédiatement devenir bijou.

Revenons un peu sur le passionnant sujet des dents. Dans certaines régions du monde, des incrustations d'or ("choumps") sont directement faites dans les dents. C'est le cas au Rajasthan (Inde) où l'or est symbole de pureté et de vérité. Ainsi, la personne qui a marqué ses dents d’éléments en or, peut suivre le chemin de l’honnêteté et connaître la vérité absolue. D'autres traditions de dents en or se retrouvent ailleurs : au Vietnam chez les Dao, en Amérique du Sud et dans certaines parties de l'Afrique où les couronnes en or postiche marquaient pour les Musulmans le passage à La Mecque.

Les bijoux dentaires qui se posent actuellement sur, ou entre, les dents sont de pâles copies de ces coutumes traditionnelles, mais n'en sont pas moins chargés de symbolique. Ainsi, la mode des grillz (prothèses dentaires décoratives faites en métal précieux et diamants) popularisée par certains rappeurs en est un bon exemple. Attributs plutôt masculins, expression de réussite et de richesse, ils se sont féminisés, et les stars féminines ont redoublé d'inventivité à cet égard.

Mais d'autres parties du corps ne sont pas en reste d'or.

Les ongles bien sûr, avec le nail art aux feuilles dorées ou encore des sortes de "bijoux de doigts"; les cheveux suivent également cette mode, et les bouches parfois (comme celles des mannequins chez le couturier Thom Browne)...

La peau enfin, avec le développement des tatouages éphémères : reproduction de bijoux sur peaux, décalcomanies dorées, ou encore en version high-tech avec les tatouages connectés (DuoSkin) où l'or se fait intermédiaire entre corps et objet connecté.

Ces dernières pratiques incarnant quasiment le comble du luxe, le summum du bijou : se parer d'un or éphémère avec un bijou précieux qui disparait ! D'ailleurs, la créatrice Virginie Bois met très bien en scène cette idée lors de ses performances, où une feuille d'or appliquée sur le corps garde la trace de ses mouvements et de ses respirations.

Une autre artiste a également organisé des performances très riches de sens, où l'or est à la fois sur, et dans l'histoire du corps. Hélène Gugenheim, avec son projet « Mes cicatrices, je suis d’elles, entièrement tissé-e » réalise des kintsugis humains où les cicatrices sont dorées à la feuille d'or.

Enfin, dans un autre genre, des langues en or ont été retrouvées sur des momies égyptiennes. Des feuilles d’or avaient été placées dans la bouche des dépouilles pour leur permettre de s’adresser à Osiris, le dieu des morts, garant de la vie éternelle dans l’au-delà des anciens égyptiens. Par leur inaltérabilité et symbolique, l’or était assimilé à l’éternité et à la chair des dieux.

Ainsi donc, la boucle est bouclée, c'est bien ce qu'on disait au début de l'article : l'or (le jaune) est un intermédiaire, il répare...


[Un tableau de photos Pinterest accompagne cet article, il sera actualisé au gré de mes découvertes].


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